Jordi Pere CERDA

Jordi Pere CERDA



Poète et dramaturge français d’expression catalane, Jordi Pere Cerdà est né Antoine Cayrol, le 4 novembre 1920, à Saillagouse (Pyrénées-Orientales), en Cerdagne, où son père tient une boucherie. Doté d’une santé fragile, Antoine Cayrol doit quitter le lycée de Perpignan et revenir sur le plateau cerdan. Il s’imprègne de la vie paysanne cerdane et découvre la littérature. Il exerce à son tour la profession de boucher.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il est agent de liaison pour la Résistance et passeur :  Je me souviendrai de ce jour - où nous passions le col - avec dix hommes de l’Algérie. - Je me souviendrai de ce jour - où la Gestapo nous suivait - pistant dans la neige le sang tiède. - Je me souviendrai des maisons - qui nous ouvraient leur porte, - brèche dans la nuit glacée. - Je me souviendrai de Mas - passant des gens fuyant la France - un jour de tempête. - Je me souviendrai de Jean, - Josep, Boris et Maurice - qui mourut là-bas à Neuengamme. Il s’engage dans l’armée de Libération et en sort sergent-chef. Il adhère au Parti communiste français (PCF) en 1944. Il brigue divers mandats pour le PCF pendant les années 1950 : élu maire de Saillagouse en 1952-1953.

Après avoir tenu une boucherie à Perpignan, il reprend la librairie de Catalogne (1964-1975) et participe à la création du Groupe roussillonnais d’études catalanes (GREC), qui pendant une quinzaine d’année structure et anime le renouveau du catalanisme roussillonnais. De 1974 à 1978, il est directeur de la revue du Goupe, Sant Joan i Barres. Il y imprime sa marque, notamment en créant le supplément Almanac Català del Rosselló, destiné à susciter l’écriture littéraire en catalan. À partir de 1980, retiré de ses activités professionnelle et militante, il se consacre à sa création, partageant sa résidence entre Perpignan et Saillagouse. Il meurt à Perpignan le 11 septembre 2011, à 91 ans. Quatre des cinq pièces de théâtre de Jordi Pere Cerdà sont représentées au Théâtre municipal de Perpignan qui, aujourd’hui, porte son nom.

Marie-Claire Zimmermann écrit (in Poème et paysage dans l’œuvre de Jordi Pere Cerdà, Presses universitaires de Perpignan, 2004) : « Pour Jordi Pere Cerdà, ce qui domine – dans tous les sens du terme – en Cerdagne, c’est la montagne. En ce pays, il n’est pas possible, en effet, de sortir de chez soi et de marcher dans la rue sans la voir : elle nous accompagne, elle forge les corps et fournit un langage. Les montagnes cerdanes, ces hauteurs du pourtour, sont comme la charpente de l’œuvre poétique : le poème est là pour dire la sensibilité et la sensualité du moi au cœur de la géographie natale. La célébration poétique de la montagne met en valeur, à la fois l’homme et la matière géologique, qui sont deux formes d’une même vie cosmique…. La Cerdagne, ce petit pays, devient alors, dans la langue poétique d’Antoni Cayrol, un vaste lieu ouvert où peut aussi se réfugier l’étranger, ainsi un berger espagnol, « El pastor andalús », qui, certes, a perdu sa terre et son fleuve – le Guadalquivir – mais qui marche dans la montagne, avec cette houlette qui est celle des bergers catalans, et dont le poète dit qu’elle est une arme pacifique que cet Andalou brandit en signe de paix, au sommet du Puigmal... L’œuvre a donc commencé en Cerdagne, elle s’y développe, la transfigure à travers le mouvement de l’écriture. L’histoire des luttes pour la liberté a précédé les deux guerres : le chant poétique est là aussi pour le rappeler à la lumière d’un engagement envers el meu partit ».

Jordi Pere Cerdà ajoute : « Évoquer la Catalogne. Le demander à un Catalan du Roussillon qui n'est ni un historien ni un politique et qui a une vision extérieure de son économie et de sa société n’est pas chose facile. Ces disciplines se sont imposées à moi, il y a presque soixante-dix ans quand j’ai pris conscience que nous parlions catalan et qu’il n’y avait aucune raison de ne pas savoir le lire ou l’écrire. La langue que nous parlons est l’expression du corps humain et je ne savais rien de ce langage que nous utilisions en Cerdagne. Nous vivions le dos à la frontière. Tous les Roussillonnais vivent le dos à la frontière. Le dos au mur. L’homme, l’individu, vit au milieu d’un cercle qui l’entoure. Un cercle plus ou moins grand selon sa vie, son caractère et sa connaissance de l’existence ; le cercle permet à chacun de nous de trouver l’équilibre vital. Mais l’individu qui a le dos au mur d’une frontière n’a que la moitié d’un cercle comme terrain d’investigation. En réalité, nous vivons spoliés de la moitié de notre équilibre. Nous le compensons sans nous rendre compte que cette moitié de cercle nous manque… Moi, je m’en tiendrai à une réalité qui est commune à nous tous depuis 1.000 ans, la langue. Évoquer la langue c’est parler de l’histoire et d’événements qui nous ont le plus souvent malmenés comme « entité ». Parce qu’une langue est directement rattachée à la politique… »

Jordi Pere Cerdà est le premier et le seul écrivain français à avoir reçu à Barcelone en 1999 le Prix national de littérature de la Generalitat de Catalogne. Pourtant, écrit Étienne Rouzès, l’excellent traducteur du poète en français, « Cerdà est aujourd’hui quasi invisible en France : toute son œuvre (poésie, théâtre, autobiographie, roman) ayant été écrite en langue catalane, il s’est de fait retrouvé en marge. Le choix du catalan fut une nécessité intérieure. Cerdà avait abandonné tôt l’usage du français comme langue littéraire car il pesait comme un surmoi castrateur sur ce jeune autodidacte, boucher à Saillagouse, chef-lieu des Pyrénées-Orientales. Cerdà trouva son expression et sa liberté dans le catalan, sa langue maternelle, qui dans sa variante cerdane, était encore vierge de travail poétique. Le catalan était la langue du peuple qui imprégnait profondément le poète. Il y puisa un vocabulaire, un imaginaire, une prosodie. C’était pour lui le véhicule parfait pour exprimer ses émotion… Si la Cerdagne est une matière première, mais elle n’est jamais une identité refermée sur elle. La Cerdagne de Cerdà est une terre universelle, à l’instar de l’Irlande de Seamus Heaney, l’Andalousie de Lorca ou le Limosin de Marcelle Delpastre. La Cerdagne donne des formes pour exprimer des émotions partagées par tous. Elle n’est pas coupée du temps mais reliée à l’histoire et à ses luttes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fut un lieu résistance et Cerdà en fut un des acteurs. Il monta une filière de passage vers l’Espagne entre 1942 et 1944, sauvant la vie de Juifs, résistants et clandestins qui fuyaient Vichy et le nazisme… »

La poésie de Jordi Pere Cerdà est un puissant cri d’angoisse et d’amour qui ensoleille le sang, la plaine et tous les sommets de l’Homme et de Cerdagne, dont le poète tutoie les montagnes, dont il connaît le moindre battement d’aile.

César BIRÈNE

(Revue Les Hommes sans Epaules)

 

Œuvre,

Poésie : Cerdaneses, Dignificació del carràs, La pell del Narcís,    Un bosc sense armes, L’agost de l’any, La guatlla i la garba. Perpinyà (Tramontane, 1950), Tota llengua fa foc. Tolosa (Institut d’Estudis Occitans, 1954), Ocells per a Cristòfor. França (1961), Obra Poètica 1950-1965 (Barcelona, Barcino, 1966), Poesia Completa (Barcelona, Columna, 1988),  Suite cerdana : poemes amb traducció francesa (Perpignan, Olivier, 2003), Paraula fonda / Sens profond (Perpignan, Olivier, 2003), Obra Poètica, anthologie 1950-1965 (Barcelone, Barcino),  Poesia Completa (Barcelone, Columna, 1988).

Chanson : Cants populars de la Cerdanya i del Rosselló (Barcelone, Editorial Mediterrània, 2016).

Théâtre : El sol de les ginestes, El dia neix per a tothom, 4 sainets (Sallagosa, 1941), Angeleta (Montpeller, 1952), La set de la terra (Perpignan, 1956), Palma de Mallorca (Moll, 1957), Quatre dones i el sol. (Barcelona, 1964. Rééd. Lumen, 1993), Obra teatral (Barcelona, Barcino, Fundació Jaume I, 1980). 

Prose : Contalles de Cerdanya (Barcelona, Barcino, 1962), Col.locació de personatges en un jardí tancat (Perpignan, Chiendent, 1984. Rééd. Barcelona, Columna, 1993), Dietari de l’alba (Barcelone, Columna, 1988), Passos estrets per terres altes (Barcelona, Columna, 1998), La Dona d'Aigua del Lanó (Perpignan, Trabucaire, 2001).

Mémoires : Cant Alt : autobiografía literària (Barcelone : Curial, 1988), Finestrals d’un Capvespre (Perpignan, Trabucaire, 2009).

Livres d’art : Garcia-Fons (Columna, 1993).

À lire (en français) : Comme sous un flot de sève, Anthologie poétique, traduit du catalan par Étienne Rouziès (La Rumeur libre, 2020), Oiseaux – Ocells (Jacques Brémond, 2009), Quatre Femmes et le Soleil (l’Amandier, 2004), Voies étroites vers les hautes terres (Cénomane, 2006), Suite Cerdana (éditions de l’Olivier, 2000), Paraula fonda (Sens profond, 1997).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : J.- V. FOIX & le surréalisme catalan n° 60